La goélette scientifique partira le 2 avril de Lorient pour un long périple autour de l’Europe. En binôme avec des scientifiques à terre, le navire s’en va mesurer l’état de santé de nos écosystèmes marins côtiers.

  • D’un côté la mer, de l’autre la terre. On pourrait penser ces deux écosystèmes totalement indépendants tant ils sont différents. Il n’en est rien, encore moins au niveau des écosystèmes marins côtiers, en prise directe avec nos activités.
  • Dans quel état alors sont nos écosystèmes côtiers marins ? De quelles manières sont-ils affectés par nos activités ? Comment interagissent-ils avec la terre… Ces questions sont au cœur de Trec, grande expédition scientifique que lance l’EMBL, un labo transeuropéen, et la fondation Tara Océan
  • Pendant 18 mois, un étonnant binôme, formé d’un laboratoire flottant et d’un autre monté sur roues, partira dans un tour des littoraux européens réaliser des milliers d’échantillonnages. De Roscoff à Tallinn et de Stockholm à Athènes.

Après plus de quinze ans de discussions, les Etats membres de l’ONU sont tombés d’accord, samedi dernier, sur un premier traité international de protection de la haute mer, un vaste espace qui commence à 370 kilomètres des côtes et représente plus de 60 % des océans et près de la moitié de la planète.

« Un grand pas en avant », souligne Edith Earth, directrice générale du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL), structure internationale de recherche qui réunit 28 Etats. Ce qui lui offre la transition parfaite pour introduire Traversing european coastline (Trec), l’expédition scientifique qu’elle est venue présenter mercredi au siège de l’Unesco, à Paris.

Des écosystèmes marins en première ligne

Trec nous ramène le long de nos côtes, cette bande de mer que nous connaissons le mieux car la plus accessible. « Les biologistes marins, les biologistes de l’évolution et du développement et bien d’autres ont étudié les organismes et les écosystèmes dans lesquels ils vivent », rappelle l’EMBL.

Mais ça vaut le coup de continuer à s’y intéresser. D’autant plus que notre monde évolue de plus en plus vite et expose ces écosystèmes marins côtiers, en prise directe avec les activités humaines, à des pressions de plus en plus fortes. La pollution plastique, le changement climatique, mais aussi les pollutions chimiques. « Tout ce qu’on met directement ou indirectement dans l’eau », englobe Edith Earth. Des pesticides aux hormones, en passant par les médicaments ou les composants de les crèmes solaires. C’est tout l’enjeu de cette expédition Trec : « Mesurer et comprendre ces évolutions et l’impact qu’elles ont sur les écosystèmes marins côtiers », résume Romain Troublé, directeur général de Tara Ocean, fondation scientifique embarquée dans l’aventure.

Un tour d’Europe de 18 mois et 46 stops

Elle partira le 2 avril de Lorient (Morbihan), le port d’attache de la goélette Tara. C’est ce navire, petit laboratoire flottant de Tara Ocean, qui assurera le volet « marin » de Trec. Il sillonnera les côtes européennes pendant dix-huit mois, de Roscoff (Finistère) à Talinn (Estonie), et de Kristineberg (Suède) à Athènes (Grèce).

Ce tour d’Europe passera par 120 sites échantillonnages, en s’intéressant à tous les organismes qu’y vivent. « Des virus jusqu’aux animaux », précise Flora Vincent, cheffe d’équipe à l’EMBL Et pas seulement en mer, poursuit-elle. C’est l’un des plus de cette expédition Trec. La goélette sera en binôme avec ce que l’EMBL appelle une « plateforme de services avancés ». En clair : un camion aménagé en laboratoire de pointe qui fera lui aussi un tour (terrestre) d’Europe, retrouvant la goélette sur 46 points de rencontre dans 22 pays. Ensemble, et avec l’appui d’instituts scientifiques locaux, ils réaliseront des « transect ». « Une ligne droite d’échantillons qui commencera à 300 mètres à l’intérieur des terres jusqu’à des eaux plus au large, avec Tara », explique Flora Vincent. Et pour compléter ces prélèvements dans les sols et les eaux, on étudiera les aérosols et un grand nombre de paramètres environnementaux, de la température aux précipitations, en passant par l’acidité et le taux d’oxygène dans l’eau. »

Tirer profit de l’association terre-mer

En tout, 120 transects sont prévus, impliquant de nombreuses disciplines.  « De la génétique, de la microscopie, de la chimie, de l’océanographie… », liste Flora Vincent, qui en fait la richesse du projet. « Rien qu’à bord de Tara, nous suivrons pour chaque site d’échantillonnage 80 protocoles différents pour échantillonner les composantes chimiques, les polluants, les gènes, les protéines présentes dans les prélèvements, complète Colomban de Vargas, directeur du comité scientifique de Tara Ocean. Nous apporterons aussi du plancton frais [des organismes microscopiques] au laboratoire mobile de l’EMBL qui nous suivra sur terre ; il pourra mener dessus des analyses très détaillées des structures moléculaires et cellulaires de ce plancton. » Ce n’est pas un détail pour Flora Vincent, qui en fait une force majeure de Trec. « Nous apporterons sur le terrain, comme il a rarement été fait, des instruments scientifiques parmi les plus avancés, précise-t-elle. Non seulement les chercheurs locaux des plus de 150 instituts partenaires de cette expédition en profiteront. Mais on pourra aussi analyser tout de suite les organismes prélevés, sans ajouter des fixateurs chimiques comme on le fait habituellement pour préserver les échantillons jusqu’au laboratoire, avec le risque que ça fausse quelque peu les analyses. »

Le début d’une aventure scientifique

Que faut-il alors attendre de cette expédition Trec ? Flora Vincent espère déjà qu’elle aboutira à la découverte « de nouvelles espèces ». Plus probablement du côté des organismes microscopiques, « des bases essentielles de nombreuses chaînes alimentaires », détaille-t-elle. Mais le but premier de Trec est bien de contribuer à la compréhension de l’impact des pollutions et du changement climatique mondial sur ces écosystèmes côtiers et des défis sociétaux que ces interactions posent. « La résistance aux antibiotiques peut-elle, par exemple, se transmettre de la terre à la mer ? », illustre Flora Vincent.

Quoi qu’il en soit, il faudra s’armer de patience pour mesurer toutes les retombées scientifiques de Trec. Ces 18 mois d’expédition sont même à voir comme une première, destinée avant tout à emmagasiner des données avec l’espoir que des scientifiques s’appuient ensuite dessus dans leurs projets de recherche. Colomban de Vargas fait le parallèle avec une précédente expédition de la goélette Tara, entre 2009 et 2013, déjà pour étudier les organismes microscopiques des océans. Au large donc ce coup-là. « Nous avions ramené un trésor de 40.000 échantillons qui ont nourri de nombreuses publications scientifiques et qui continuent d’être analysés aujourd’hui, raconte-t-il. C’est en grande partie ce travail qui a permis d’avoir une idée assez précise de la diversité des organismes unicellulaire dans la couche supérieure des océans ». Et qui est sans doute aussi pour quelque chose dans ce traité international sur la haute mer décroché samedi.

Un tour du monde pour rencontrer aussi les Européens

Comme souvent dans les missions de la goélette Tara, cette expédition Trec cherchera aussi à aller à la rencontre des citoyens européens pour les sensibiliser aux enjeux de la protection de la biodiversité marine. Le navire prévoit ainsi une trentaine d’escales sur les dix-huit mois, « dont neuf majeures pour lesquelles nous resterons sur place six-sept jours avec, au programme, des conférences et animations », détaille Romain Troublé. Ce sera le cas à Roscoff, où le CNRS a une station biologique, juste après le week-end de Pâques. » L’hiver prochain, Tara remontera aussi le Rhône pour passer décembre et janvier à Lyon.

https://www.rcf.fr/articles/actualite/lorient-5-jours-danimations-pour-feter-le-retour-de-tara-0

La goélette Tara ©Fondation Tara Océan