Le photographe animalier Lilian Haristoy est le seul plongeur à s’être aventuré au large du gouf de Capbreton, pour y découvrir la faune dans ce milieu si particulier. Durant cinq années, il a compilé les images qu’il partage dans son premier ouvrage : « Baie de Biscaye, les trésors du gouf de Capbreton »
Dans sa chambre d’enfant, Lilian Haristoy compulsait les fiches Cousteau. Jusqu’à les connaître par cœur. C’était les années 1980. Les aventures du capitaine, son bonnet rouge et la Calypso, qui depuis trente ans extirpait des profondeurs les secrets du monde sous-marin suscitaient encore l’émerveillement. À côté du bol fumant et des tartines, les articles décryptant le comportement des dauphins, l’importance des paliers de décompression, ou le mécanisme du déferlement de la vague complétaient à merveille le petit-déjeuner du garçon qui, dans la campagne urtoise (64), au pied des Pyrénées et l’océan en ligne d’horizon, avait comme une évidence fait de la nature et du milieu aquatique son port d’attache. On n’oublie jamais vraiment l’enfant que l’on a été. Avec son premier ouvrage « Baie de Biscaye, les trésors du Gouf de Capbreton », sorti aux Éditions Balea en novembre dernier, Lilian Haristoy en témoigne : « En 2016, la première fois que j’ai plongé avec des dauphins sur le gouf, c’est comme si j’avais fait ça toute ma vie. J’étais dans mon élément, je pouvais analyser leurs réactions, anticiper. L’été dernier, lorsque j’ai enfin rencontré les cachalots, je n’ai pas ressenti d’appréhension. Quand je vois un requin, je me jette à l’eau. Me retrouver au milieu d’un banc d’un thon, c’est magique. Tout ce que j’avais lu sur le sujet m’avait imprégné. » Imbibé, pas blasé.
« 800 mètres de fond, c’est différent »
Voici donc le photographe animalier autodidacte, après des études en BTS aquaculture, une spécialisation en tant que technicien de rivière et une première vie professionnelle plurielle, dans le rôle de celui qui explore, découvre et expose. Comme son pygmalion. Son terrain de jeu, il ne l’aurait soupçonné, n’était pas situé sous de lointaines latitudes mais à portée, depuis toujours : « Le gouf de Capbretron, je le connaissais sans le connaître. De nom, comme beaucoup de monde je suppose. La première fois que je l’ai réellement pratiqué, c’était en 2016 pour un travail que nous comptions mener, avec un ami, sur le thon rouge. L’océan, je le pratique depuis ma jeunesse : pêche, chasse sous-marine, surf. Mais le grand large, j’avais peu de notions. Être sur le gouf, avoir 800 mètres de fond sous soi, c’est différent de tout ce que j’ai pu réaliser auparavant. » C’est là que Lilian Haristoy veut désormais être. Avec une ferveur qui confine à l’addiction. En se lançant dans son projet de livre, le Basque n’était conscient que d’une chose, tout était à découvrir : « Sur le gouf, nous ne sommes pas nombreux. Et dans l’eau, j’étais seul à plonger. » Le travail est nouveau et les images compilées exceptionnelles. À tel point qu’il a reçu la bénédiction d’Hugo Verlomme, écrivain spécialiste de la mer et grand connaisseur du gouf œuvrant à sa médiatisation, qui préface l’ouvrage. Et suscité l’enthousiasme pour les suites à y donner de François Sarano, docteur en océanographie et ancien conseiller scientifique du commandant Cousteau. La vie est une boucle.
En apnée par purisme
Le travail de Lilian Haristoy est de toute part singulier dans son approche du gouf de Capbreton. Jusqu’au mode de plongée, exclusivement en apnée. Pour accéder à une forme de purisme, concède le photographe. Plus pragmatiquement, parce qu’il s’agit de la moins intrusive des techniques, quand il s’agit de s’insérer dans un milieu sauvage où la discrétion et le respect du vivant sont érigés au premier des commandements : « Je pratique l’apnée depuis une vingtaine d’années. J’ai appris de façon empirique, puis j’ai passé des diplômes. Sur le gouf, étonnamment, j’ai du mal à plonger sans mon caisson pour photos sous-marines. C’est lié. L’apnée aide à être conscient de ce qui m’entoure, en éveil. Je n’ai pas une capacité extraordinaire, j’ai un niveau moyen. La performance n’a aucune espèce d’importance. Mais quand je prends des photos, je ne calcule plus vraiment le temps. Je déconnecte, même si je ne me suis jamais mis dans le rouge. »
La pratique du gouf n’est pas des plus aisées. Lilian Haristoy y a amené des collègues qui pratiquent en piscine, et qui prenant conscience des profondeurs se trouvant sous eux, se sont sentis perdus : « Je sais pourquoi je suis seul à me mettre régulièrement à l’eau là-bas. C’est l’Atlantique. C’est de la plongée 4×4. Mais moi, je suis dans mon élément. Vivre cela seul, face à de grands animaux, c’est se mettre à nu. »
Lilian Haristoy décrit aussi ce silence à nul autre pareil… parce qu’empli des bruits de l’océan et de ses habitants : « Quand on est habitué, on se rend compte du bruit assourdissant que peuvent faire des bouteilles d’oxygène. Ou toute activité humaine : un objet que l’on échappe sur le pont d’un bateau, cela fait immédiatement fuir les animaux dessous. »
Corps et âme
Du poisson-lune aux globicéphales, c’est un écosystème rarement voire jamais observé sous l’eau, dans ce milieu particulier, qui s’est laissé approcher. Il a fallu pour cela se consacrer corps et âme à cette relation. Cinq années durant, Lilian Haristoy s’est placé en astreinte, étoffant au maximum son réseau, outil indispensable de sa veille constante. « J’ai arrêté de surfer, j’ai arrêté de pêcher. Mon matériel était prêt en permanence. En vingt-cinq minutes, j’étais sur mon bateau. Trois quarts d’heure plus tard, j’étais sur site. La première fois que j’ai vu les orques, c’est grâce à un ami qui m’a prévenu qu’il était avec eux. Je travaillais chez moi. En une heure je me suis rendu sur place. Mon seul souci était de savoir en permanence ce qu’il se passait sur le gouf. En découvrant cette macrofaune, je n’avais qu’une chose en tête : ramener des images. Je savais les cachalots difficiles à approcher. J’ai mis cinq ans à les prendre en photos. J’ai eu une baleine à bec de Sowerby sous l’eau. C’est très rare pour ne pas dire inédit. Partir sur le gouf, c’est un souffle de liberté, de l’imprévisible, de l’hypothétique. J’ai souvent fait chou blanc. Plonger dans une eau à 14 ou 15 °C pour ne rien ramener, c’est dur. Mais il faut l’accepter. L’océan, c’est ça. »
Un regard vers le sud
Le livre sorti, le pionnier n’en a pas fini avec le gouf. Il est probable d’ailleurs que cette union entre lui et ce grand canyon sous-marin ne se rompe jamais. L’idée d’une version pour les enfants émerge. Celle d’études scientifiques aussi : « Je collabore avec Apex Cetacea, un centre de whale watching basé a Capbreton mais plus particulièrement avec Apex Research, sa branche scientifique. Cette saison, Apex research lance une étude sur le microbiome des grands dauphins. Cette étude menée par la spécialiste Inès Galtier d’Auriac permettra d’avoir des données sur l’état de santé des animaux en général et sur leur environnement. ». Lilian Haristoy veut également suivre des cachalots grâce au protocole validé par François Sarano. Il regarde aussi vers le sud, le long de la côte espagnole jusqu’à Santander, là où le canyon s’évase jusqu’à 15 km de large et plonge à 3 500 m de profondeur. Il parle poissons des abysses, cétacés plongeurs et même calmar géant : « Le gouf n’a pas été cartographié il y a si longtemps. On en connaît la géologie. Mais pour la faune, quand j’y vais, j’ai l’impression de marcher sur la Lune. Nous allons tenter de défricher parce que pour l’instant, sur l’étude du vivant sur le gouf de Capbreton, il n’y a rien. Nous voulons lancer un travail sérieux, avec des gens qui savent. Je ne suis pas scientifique, mais je veux comprendre ce que les orques, les globicéphales ou les cachalots font là, où vont-ils et d’où viennent-ils ? »
Dans le respect des animaux
Quand il se rend sur le gouf de Capbreton, Lilian Haristoy est dans ses petits souliers. Il n’est pas chez lui et il le sait : « Je ne vais jamais vers les animaux. Je les laisse venir à moi, s’ils le veulent. En général, au large, ils sont curieux. Il faut être sur leur passage, pour qu’ils aient besoin de venir vous analyser. Si ce n’est pas intéressant, ils s’en vont. La plus incroyable des interactions, c’est avec les globicéphales qui sont hypersociables. » On trouve là aussi la valeur pédagogique d’un ouvrage qui, pour aller plus loin, propose de découvrir quelques-unes de ces sorties en vidéo, par le biais de QR Codes à scanner.
Photographie: © Crédit photo : Lillian Haristoy