Les fonds océaniques participent en permanence au grand recyclage de la matière terrestre à l’œuvre dans notre planète. C’est ce que nous explique Yves Lagabrielle, spécialiste de la lithosphère, dans ce billet du blog « Un océan de découvertes ».

Le saviez-vous ? L’immense majorité des fonds océaniques disparaissent de la surface du globe et sont recyclés dans le manteau en 200 millions d’années environ. En effet, les déplacements des plaques à la surface de la Terre sont compensés par un recyclage en profondeur et un brassage du manteau qui s’opère sous la forme de vastes cellules de convection. Le cycle de la matière qui forme les plaques débute au niveau des dorsales où se forme la lithosphère par refroidissement du manteau. Il se poursuit dans les zones de subduction où les plaques s’enfoncent inexorablement jusqu’à la profondeur de 600-700 km. Là, elles peuvent stagner momentanément pour poursuivre leur enfoncement au sein du manteau inférieur (2 900 km) et poursuivre ainsi le cycle de la matière terrestre… et disparaître. Les volcans des arcs insulaires qui jalonnent les zones de subduction sont autant d’indices de ce recyclage. Dans le panache de ces volcans on trouve en effet des éléments volatils qui proviennent des plaques océaniques disparues.

Mais toute la lithosphère océanique ne disparaît pas. Une infime partie échappe à la subduction. Le long des frontières convergentes, il existe ainsi des situations rares à la faveur desquelles des écailles arrachées à la lithosphère des plaques océaniques sont incorporées dans les chaînes de montagne où elles apparaissent souvent déformées au sein de matériel d’origine continentale. Ces situations surviennent lorsque deux plaques continentales entrent en collision après la fermeture de l’espace océanique qui les séparait. On nomme le processus par lequel la lithosphère océanique monte sur une marge continentale l’obduction, par opposition au processus de la subduction où la plaque s’enfonce sous la marge.

Les ophiolites, témoins des océans disparus

Les roches de nos montagnes qui témoignent de l’existence de ces océans perdus sont les ophiolites. Ces roches ont toujours fortement intrigué les géologues car elles sont associées à des sédiments marins profonds (pélagiques), traduisant une origine nécessairement lointaine de tout domaine continental émergé.
 
Les ophiolites sont un assemblage de roches typiques de la lithosphère formée à l’axe des dorsales océaniques : des basaltes, des gabbros et des péridotites. Ces dernières, qui composent le manteau, s’altèrent à la surface de la Terre pour donner des serpentinites, roches lustrées de couleur verte. Cette particularité est à l’origine du mot ophiolite : de ophios, serpent et lithos, pierre, en raison de la présence très fréquente des serpentines.

Le modèle à croûte océanique mince

Dans les Alpes, les études révélèrent d’abord que, contrairement à ce qui se passe à l’axe des dorsales rapides du type Pacifique, le volume de magma produit par la fusion du manteau lors de sa remontée sous l’axe de la dorsale est réduit, de sorte que les basaltes et les gabbros sont parfois moins abondants. La croûte océanique des ophiolites alpines et donc très mince, voire discontinue. Si ce modèle d’ophiolite alpine a d’abord été pris pour une marque d’immaturité de l’océan, plusieurs indices rapportés par des campagnes de dragage ou de plongée sur la dorsale atlantique dans les années 1990 établirent sans ambiguïté que de nombreux secteurs y présentent aussi une croûte réduite, voire une absence totale des basaltes et des gabbros. Ceci signifie que les péridotites du manteau affleurent directement sur le fond marin. Les dix années suivantes permirent d’établir, à l’issue de nombreuses campagnes en mer, que le modèle à croûte océanique mince et discontinue peut s’appliquer à environ 50 % de la surface de la lithosphère des plaques composant le fond de l’Atlantique. Il s’applique également intégralement à une partie des fonds de l’ouest de l’océan Indien et à l’océan Arctique dans son entier. Toutes ces régions correspondent à des dorsales dont les taux d’ouverture sont faibles à très faibles (3 à 0,8 cm/an). Les chercheurs estiment donc désormais qu’un lien existe entre d’une part la vitesse de l’ouverture océanique le long d’une dorsale donnée et d’autre part la structure de la lithosphère qui s’y trouve mise en place

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Photographie: ©Kevin C. Charpentier