Si l’océan joue un rôle majeur dans le cycle du carbone, notamment en stockant cet élément dans ses fonds et en évitant qu’il ne rejoigne l’atmosphère sous forme de CO2, il semble que la hausse des températures pourrait bien venir tout perturber.

Le cycle du carbone est un ensemble de processus qui assure le transit du carbone entre l’atmosphère, la biosphère et la géosphère. Dans ce cycle, l’océan joue un rôle particulier puisqu’il s’agit d’un important puits de carbone. Cela signifie que cet élément chimique y est stabilisé et stocké sur de très longues périodes. Dans le contexte actuel, marqué par une hausse inquiétante du taux de CO2 dans l’atmosphère, cette notion de stockage (on parle même souvent de séquestration) est essentielle. En effet, la rétention du carbone dans les fonds océaniques évite qu’il ne soit trop rapidement relâché dans l’atmosphère sous la forme, principalement, de CO2. En temps normal, ce processus permet donc de réguler le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère.

Un cycle du carbone perturbé par la hausse des températures

Mais les scientifiques viennent de découvrir que la capacité de séquestration du carbone d’origine organique serait altérée par la hausse de température des océans. C’est en analysant des échantillons de sédiments du fond marin que les chercheurs sont arrivés à cette conclusion, publiée dans la revue Nature. Cette étude sédimentaire a en effet permis d’observer l’enfouissement du carbone organique sur les 30 derniers millions d’années, en regard de l’évolution du climat durant cette période. Il s’avère que, si la séquestration du carbone organique est un processus très actif et efficace au cours du temps, il est bien plus sensible aux variations climatiques que ce que l’on supposait jusqu’à présent.

Du carbone relâché vers l’atmosphère au lieu d’être stocké

Les scientifiques sont arrivés à ce constat en utilisant une nouvelle méthode pour déterminer les taux d’enfouissement du carbone organique par rapport au carbone inorganique. Leurs résultats montrent que, durant la période chaude du milieu du Miocène (15 millions d’années), la quantité de carbone organique enfouie dans les fonds océaniques a été relativement faible. Cela serait dû au fait que l’activité bactérienne, qui dégrade la matière organique, augmente avec la température. Or, la dégradation de la matière organique ne permet pas le stockage du carbone. Au contraire, ce processus relâche une grande part du carbone organique sous forme de CO2, renforçant ainsi l’effet de serre. Des résultats plutôt de mauvais augure pour le futur…

Les océans sont-ils encore de bons tampons à CO2 ?

Grâce à des données s’étalant sur 30 ans, des scientifiques ont pu y voir plus clair sur le rôle de l’océan en tant que puits de carbone. Nicolas Metzl, chercheur à l’unité LOCEAN du CNRS et co-auteur de l’étude, nous explique pourquoi les résultats divergeaient jusqu’à présent.

Une étude, qui vient de paraître sur le site de la revue Nature Geoscience, précise le rôle de l’océan Atlantique Nord concernant le stockage de carbone par les océans. L’étude analyse l’évolution des concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et dans l’océan Atlantique. 

À l’interface air-océan, l’eau piège des molécules de CO2 atmosphérique. Alors que l’émission de CO2 dans l’atmosphère augmente considérablement à cause de l’activité humaine, ce phénomène – la séquestration du carbone – est une aubaine vis-à-vis du changement climatique. Du fait du réchauffement climatique, la dissolution du CO2 dans l’océan est cependant moins efficace dans certaines régions, laissant à penser que l’océan remplit moins bien son rôle de puits de carbone. C’est notamment le cas dans les régions subtropicales de l’océan Atlantique, comme le montre l’étude pilotée par Galen McKinley (université du Wisconsin).

Néanmoins, à part dans cette région, les concentrations en dioxyde de carbone de l’océan et de l’atmosphère évoluent sensiblement de la même manière depuis 30 ans, selon l’étude. Ceci indique que l’activité de stockage du carbone des océans reste constante.

30 années de données

Pour arriver à ce résultat, l’équipe de scientifiques s’est basée sur des séries de données s’étalant sur une période de 30 ans. « Depuis environ 5 ans, la communauté internationale s’est organisée pour réaliser une synthèse des observations du CO2 océanique, afin qu’elles soient comparables, parce qu’on n’utilise pas toujours le même matériel ou les mêmes méthodes d’un pays à l’autre. Cette synthèse permet d’évaluer avec plus de précisions les variations de CO2 dans l’océan » explique Nicolas Metzl, de l’Institut Pierre Simon Laplace (LOCEAN/CNRS) et co-auteur de l’étude, interrogé par Futura-Sciences. Si tout le monde s’accorde à dire que le CO2 atmosphérique n’a de cesse d’augmenter (voir graphe ci-dessus), les chercheurs étaient en revanche plus partagés quant à l’évolution du CO2 océanique. Des résultats divergents étaient à l’origine de cette discorde.

« Des résultats montrent que le taux de CO2 a augmenté plus vite dans l’océan que dans l’atmosphère, mais sur des courtes périodes, dix ou quinze ans. Ces études n’étaient pas fausses, mais dans l’océan, il y a une telle variabilité de CO2 d’une saison à l’autre, voire d’une année à l’autre, qu’il est encore délicat de séparer les variations naturelles de celles liées au changement climatique et extrapoler ces résultats pour les prochaines décennies… La variabilité géographique doit aussi être prise en compte », continue Nicolas Metzl.

Variabilité naturelle vs variabilité anthropique

Le défi des chercheurs est donc de faire la distinction entre la variabilité d’origine naturelle et celle d’origine anthropique. Les données utilisées ici permettent de s’affranchir de ces variabilités naturelles et de conclure sur des résultats globaux : la concentration en dioxyde de carbone n’augmente pas plus vite dans l’océan que dans l’atmosphère. « Sur 30 ans, on observe que l’activité de puits à carbone de l’océan n’augmente pas, voire diminue dans les zones subtropicales », conclut Nicolas Metzl (voir carte ci-dessus).

Il insiste également sur l’importance d’observations et de bases de données internationales à long terme. « Au-delà des résultats, un des points clés de cette étude, c’est le rassemblement de toutes les données utilisées. Un des objectifs dans les prochaines années sera d’optimiser le réseau d’observations du dioxyde de carbone océanique afin d’obtenir des données standardisées et d’évaluer le rôle de l’océan, non seulement dans l’Atlantique nord, mais aussi et surtout à l’échelle globale, et mieux apprécier la qualité des modèles de climat. » C’est notamment l’objet de la conférence qui se tiendra du 14 au 16 septembre 2011 à Paris sous la direction de l’Unesco.

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-ocean-puits-carbone-mais-temps-encore-31373/

©Tim Mossholder