Tara polar station, une station polaire dérivante, va entrer cette année en construction pour une mise à l’eau prévue en 2024. Cette base scientifique permettra d’étudier et de surveiller une région particulièrement concernée par le changement climatique. Des bouleversements déjà en cours qui auront des répercussions sur l’ensemble du système climatique de la planète et qu’il est donc urgent de surveiller.
Retour en Arctique pour la fondation Tara Océan, qui sillonne les mers du globe avec sa goélette scientifique depuis 2004. Après cinq ans de développement dans le plus grand secret, Romain Troublé, directeur général de la fondation, a annoncé le 21 juin 2022 le lancement de la construction d’une station polaire dérivante qui explorera l’océan boréal pendant 20 ans. Pourquoi l’Arctique ? « Parce que c’est LA sentinelle du changement climatique, explique-t-il. Avec la fonte de la banquise, l’océan découvert va absorber plus de rayons solaires, ce qui va entraîner l’augmentation de la température de l’eau. Nous devons comprendre ce qui se passe au nord pour prédire ce qui va se passer au sud ». L’étrange vaisseau aux allures de soucoupe volante conçu par l’architecte breton Olivier Petit devra permettre de mener des dérives successives dans les glaces, avec pour objectif de mieux comprendre les dynamiques saisonnières de ces régions et leurs évolutions
En 2006, la goélette Tara s’était insérée dans la banquise pendant 507 jours
En 1893, l’explorateur norvégien Fridtjof Nansen, avait été le premier à se laisser prendre dans les glaces arctiques à bord du voilier Fram pour une dérive qui dura trois années éprouvantes. En 2006, la goélette Tara s’était à son tour insérée dans la banquise pour se laisser porter par les courants de glace pendant 507 jours. Soit un voyage deux fois plus rapide que celui de Nansen un siècle auparavant. Cette dérive avait mis en lumière les bouleversements en cours dans les régions boréales du globe : 70% du volume de sa banquise ont ainsi disparu en 40 ans !
Cette fois, l’aventure scientifique veut se pencher sur tous les phénomènes en cours dans l’océan boréal, depuis les couches atmosphériques jusqu’aux grandes profondeurs. « Aujourd’hui, nous mesurons déjà une augmentation moyenne des températures globale de 1,1°C par rapport à la période de pré-industrialisation, indique Gerard Krinner, chercheur à l’Institut des Géosciences de l’Environnement à Grenoble. Et la région la plus touchée par ce réchauffement est l’Arctique : c’est là où on mesure les changements les plus drastiques. Et dans les 20 prochaines années, l’océan va être de plus en plus libre de glaces. Il va se mettre en place un nouveau système, encore inconnu. Par ailleurs, l’Arctique est bordé par la Sibérie, le Canada, le Groenland. Ce dernier est recouvert d’une calotte de 3 km de glace qui va fondre. Ce sera l’une des principales contributions à l’élévation du niveau des mers. La fonte des sols glacés, le pergélisol, va libérer de la matière organique qui en se décomposant pourrait présenter un mécanisme d’amplification du réchauffement climatique. L’Arctique est le point névralgique du système climatique global. Il est nécessaire de le surveiller« .
L’Arctique, ce sont aussi des organismes adaptés à un environnement hostile, privé de lumière pendant la moitié de l’année, baigné de photons pendant l’autre moitié et où les températures peuvent chuter à -41°C. Comment vont-ils s’adapter ? Notamment lorsque d’autres espèces vont remonter vers le nord à la recherche d’eaux plus fraîches… En outre, le pôle nord forme en quelque sorte un cul de sac océanique, où s’accumulent les polluants (plastique, mercure, etc.). Autant de sujets d’étude pour les scientifiques du monde entier qui cohabiteront dans cette station durant les jours sans nuit de l’été polaire et la nuit totale de 140 jours en hiver. Une première dérive de 7 mois est prévue à l’horizon 2025, et les missions se succéderont ensuite jusqu’en 2045.
Des chiens polaires pour se protéger des ours
La base en aluminium de 400 m2 pourra embarquer un équipage de 12 personnes l’hiver et 20 l’été pour des missions de 18 mois. Ces équipages seront composés pour moitié de scientifiques et pour l’autre moitié de marins, d’un chef cuisinier et d’un médecin. Deux chiens polaires seront de la partie, notamment pour la protection contre les ours polaires lors des expéditions sur la banquise. Equipée d’éoliennes, de panneaux solaires et de carburants issus du recyclage des huiles de cuisson usagées, la station a une forme ovale optimisée pour limiter les déperditions de chaleur. Elle disposera de 12 cabines, un sauna, une salle médicalisée, des laboratoires et d’une ouverture sous-marine pour effectuer facilement des prélèvements d’eau. Les effluents seront filtrés ou recyclés, tandis que l’eau douce sera obtenue par désalinisation. Des capteurs seront disposés sur le toit pour les données atmosphériques et les aérosols et sur la coque pour les paramètres physico-chimique de l’eau. Le projet a reçu le 5 avril le soutien d’Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur des Pôles et des enjeux maritimes, en marge de la présentation de la stratégie polaire française à l’horizon 2030. Il s’est alors vu allouer 13 millions d’euros, de quoi boucler le budget de 18 millions nécessaire à sa construction.
Photographie: ©Fondation Tara Ocean – Olivier PETIT