C’est l’un des principaux enjeux de la COP15 sur la biodiversité, qui se tient jusqu’au 19 décembre à Montréal : parvenir à protéger, d’ici 2030, 30 % de la surface des océans. Cet objectif sera au cœur des négociations entre les États. Aujourd’hui, seuls 8 % des océans sont classés comme « protégés »rappelle le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Une part faible, qui cache une réalité encore moins reluisante. Comme l’expliquait Reporterre dans une enquête de 2020, la majorité des « aires marines protégées », dans leur forme actuelle, peinent à enrayer l’effondrement de la vie marine.

De nombreux scientifiques et associations planchent sur des solutions pour les améliorer. Lorsqu’elles sont bien conçues, ces zones ont en effet des bénéfices spectaculaires sur la biodiversité et contribuent à réduire les effets du changement climatique sur les écosystèmes marins. Tour d’horizon des pistes envisagées.

Relever les niveaux de protection

Il s’agit de « la priorité des priorités », selon Joachim Claudet, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du sujet. Bien souvent, les « aires marines protégées » n’en ont que le nom. L’écrasante majorité d’entre elles n’ont pas un niveau de protection assez élevé pour porter leurs fruits. La pêche intensive et d’autres activités néfastes y sont autorisées, réduisant leur efficacité à néant.

En France, par exemple, le gouvernement assure protéger 33,7 % des espaces marins. Les travaux de Joachim Claudet et de ses collègues ont cependant montré que seul 1,6 % de ces aires dispose d’un niveau de protection « intégral » ou « haut » — c’est-à-dire d’une législation interdisant les activités nuisibles, comme la pêche industrielle, l’exploitation de ressources minières ou l’extraction de sable. Récemment, l’association Bloom a montré que 47 % de la pêche industrielle en France métropolitaine avait lieu au sein de parcs naturels, de réserves ou de zones Natura 2000.

La situation n’est pas meilleure dans le reste du monde. Selon les chiffres de l’Institut de conservation marine, seuls 2,4 % des océans ont été interdits d’accès aux navires de pêche industrielle, alors que 8 % sont censés être protégés. « On pourra créer autant d’aires marines protégées que l’on veut, si elles n’ont pas de niveaux de protection forts, elles n’auront jamais aucun effet sur la conservation de la biodiversité », prévient Joachim Claudet.

 Mieux choisir les zones d’implantation

Les gouvernements ont une fâcheuse tendance à implanter des aires marines protégées dans des zones où la pêche industrielle est quasi-inexistante. Cela leur permet de grossir artificiellement leurs chiffres sans risquer de conflits d’usage.

C’est le cas, entre autres, en France. Dans une enquête publiée fin novembre, Bloom a montré que le tracé des « zones de protection renforcée » au sein de la réserve naturelle nationale des Terres australes évitait exactement les zones exploitées par les navires de pêche industriels français, huit mastodontes de 55 à 76 mètres de long. « L’État mène une politique du chiffre, et non une politique de préservation », fustige Swann Bommier, chargé de plaidoyer au sein de l’association. Il est selon lui essentiel que les États sélectionnent les zones d’implantation des aires marines protégées en fonction des menaces auxquelles elles font réellement face. « Si 10 % du réseau était intégralement protégé et situé dans des zones cohérentes et représentatives du point de vue des enjeux de biodiversité, on changerait déjà complètement d’échelle. »

Mettre en place des aires mobiles

Le changement climatique nous fait basculer en terrain inconnu. Les aires de répartition des espèces risquent d’évoluer au cours des prochaines décennies. Les dynamiques de migration des oiseaux, des poissons et autres tortues marines pourraient également être affectées.

Face à ce constat, une équipe de scientifiques a proposé, dans une tribune publiée en 2020 dans la revue Science, de créer des aires marines protégées « mobiles », dont les frontières pourraient bouger « dans l’espace et dans le temps ». Cela contribuerait, selon eux, à « renforcer la résilience » des écosystèmes face au changement climatique. Les contours de ces aires pourraient être déterminés et ajustés grâce à l’imagerie satellite, la modélisation informatique ou le traçage des animaux, expliquent-ils. La mesure de la température de l’eau et la détection acoustique de certaines espèces pourraient également donner des indices sur l’évolution des écosystèmes. Une quinzaine de zones, comme la mer des Sargasses (dans l’Atlantique nord) ou le front d’Agulhas (au large de l’Afrique du Sud) pourraient selon eux bénéficier d’aires marines protégées aux contours mouvants.

« D’un point de vue scientifique, c’est un champ de recherche extrêmement fécond et intéressant, estime Joachim Claudet. Mais il faudrait déjà créer des aires marines protégées statiques qui protègent réellement. Après, je serai le premier à me demander comment faire pour qu’elles bougent. »

Inclure les communautés locales

Un article publié en mai dans la revue Science Advances suggère que les aires marines protégées sont plus efficaces lorsque les usagers sont impliqués dans leur gestion. En étudiant l’évolution de la biomasse de poissons au sein de quatre aires marines protégées indonésiennes, l’équipe de chercheurs a observé que les parcs administrés main dans la main avec la population locale étaient, dans certains cas, plus riches en biodiversité que ceux ayant uniquement recours aux sanctions.

Des résultats similaires ont été observés dans le Pacifique et le nord de la Méditerranée, raconte Joachim Claudet. Impliquer les pêcheurs, les opérateurs touristiques ou encore les riverains dans le processus de gestion des aires, avec l’appui des scientifiques, permet en effet souvent de faire « mieux adhérer » la population au projet.

La concertation ne fait cependant pas tout, insiste-t-il. « Il faut aussi une volonté politique, pour dire que l’on en a besoin. » Faire preuve de patience est également fondamental. En moyenne, il faut attendre cinq ans avant que les populations de poissons augmentent à l’intérieur et aux alentours des aires protégées, au bénéfice des pêcheurs artisanaux. « Il faut accepter de se serrer quelque temps la ceinture pour que cela marche. Le temps de la nature n’est pas celui des élections municipales. Mais au bout de cinq ans, la population ne veut plus s’en passer. »

Donner plus de moyens aux parcs

Selon un article publié en 2017 dans la revue Nature, les aires marines protégées qui manquent de moyens ou de personnel seraient en moyenne 2,9 fois moins efficaces que les autres. Les pays étudiés ne font pas partie de ceux dont l’économie est la plus avancée. « Même dans les pays riches, comme la France, le financement des aires marines protégées est un problème, commente Joachim Claudet. Je n’en connais pas une dont les gestionnaires disent avoir assez d’argent, ou assez de personnel pour la surveillance, la sensibilisation, etc. »

« L’argent, c’est le nerf de la guerre, confirme Élodie Martinie-Cousty, pilote du réseau Océans, mers et littoraux de France Nature Environnement. Aujourd’hui, l’État donne beaucoup plus d’argent aux acteurs de l’économie qui détruisent la biodiversité qu’à sa protection. »

Les systèmes de surveillance des navires industriels, comme Global Fishing Watch — qui permet de connaître leur localisation en temps réel — gagneraient également à se développer, selon Joachim Claudet. « Ce n’est pas parce que les aires marines protégées ne sont pas suffisamment surveillées qu’elles ne sont pas efficaces, précise-t-il cependant. C’est parce que leurs niveaux de protection sont trop faibles. La surveillance deviendra un enjeu quand on augmentera réellement la superficie des zones où la pêche est interdite. »

Investir les eaux internationales

Les eaux internationales couvrent 64 % de la surface de l’océan. Malheureusement, aucun outil ne permet de créer des aires marines protégées hors des « zones économiques exclusives » (ZEE) des États, qui s’étendent jusqu’à 200 milles marins des côtes. « Les eaux internationales recouvrent des écosystèmes qui n’existent pas ailleurs, décrit Joachim Claudet. Dans beaucoup d’endroits, c’est le Far West. Il faudrait les protéger avant qu’il n’y ait plus rien à protéger. »

Un projet de traité de protection de la haute mer — qui permettrait de créer des aires marines protégées dans les eaux internationales — a été lancé en 2018, mais les négociations patinent. « Il y a encore des dissensions sur l’articulation du futur mécanisme avec les organisations existantes, comme l’Organisation maritime internationale (OMI), les mers régionales ou les organisations régionales de gestion des pêches », nous expliquait en août Julien Rochette, directeur du programme océan de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).ty

« L’un des facteurs de l’érosion de la biodiversité dans l’océan, après la surpêche, c’est la fragmentation de la gouvernance, estime Joachim Claudet. On prend des mesures sur la pêche à un endroit, sur le trafic maritime dans un autre, sur les mammifères marins encore ailleurs… Ça conduit à prendre des décisions incohérentes, alors que, pour la biodiversité, tout est lié. »

La prochaine session de négociation de ce traité aura lieu en février. « On espère tous qu’elle aboutira à un accord, dit le chercheur. Si l’on dégrade trop l’océan, même les usages que l’on en fait vont en pâtir. » Avant de conclure : « Bientôt, nous atteindrons un point de non-retour. »

https://reporterre.net/Comment-mieux-proteger-les-oceans
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©Keemkai Villadums