La photographe anglaise Mandy Barker compose de magnifiques tableaux naturalistes à base de déchets ramassés sur les plages.
« Un art du trompe l’œil enchanteur et glaçant. »
Quelles sont ces créatures délicates prises dans le courant ? Des coraux d’un nouveau genre ? Des anémones nomades ? À bien y regarder, il s’agit plutôt de bouts de cordages, lambeaux d’amarres dont les fibres iront se mélanger à la grande soupe marine, dans le ventre des poissons. La photographe anglaise Mandy Barker les a ramassés lors d’une expédition sur l’île Henderson, dans les îles Pitcairn. « À 50 000 kilomètres de toute terre, au beau milieu du Pacifique. Il s’agit d’une réserve naturelle, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, qui a également été identifiée en 2019 comme la plage la plus polluée du monde. Un spectacle horrifiant », se souvient-elle. Petits jouets, tubes, emballages, ballons de foot, fleurs artificielles, tongs, et des milliers de sacs translucides jolis comme des méduses : de chaque voyage, elle rapporte ces déchets délavés, qu’elle arrange ensuite dans son studio de Perth en de saisissantes compositions singeant les beautés naturelles. Primées par le « National Geographic », ses photos font depuis 2012 le tour du monde, relayées par Greenpeace et par les océanographes avec lesquels elle travaille.
« L’effet d’un coup de couteau dans le dos. »
Mandy Barker a grandi au bord de la mer, à Hull, où elle a débuté sa carrière en ramassant des coquillages, comme tout enfant. Après des études de graphisme, attirée par la photographie elle participe à une expédition dans le Pacifique en 2012 sur la trace des débris emportés par le tsunami. « J’ai commencé par prendre des photos in situ, mais cela n’intéressait personne. La beauté de mes images est faite pour attirer l’œil, et ensuite on lit la légende. Je veux que cela fasse l’effet d’un coup de couteau dans le dos. » Et elle ne se laisse pas abuser par le recyclage : « 91 % du plastique n’est jamais recyclé », souligne-t-elle. Dans sa maison transformée en site de stockage, elle prépare une nouvelle série sur la fast fashion et les vêtements synthétiques : « On en trouve énormément sur les plages, sans compter les particules emportées dans l’eau à chaque lavage. » Si elle cite sa proximité avec l’artiste-activiste Simon Norfolk, son travail évoque aussi les natures mortes des peintres flamands du XVIIe siècle, fruits, fleurs et gibiers rappelant notre condition passagère : « Sans doute parce que, comme eux, j’utilise une seule source de lumière, pour évoquer le soleil qui perce les profondeurs. » À la différence que ses images à elle soulignent non pas ce qui passe, mais ce qui restera de nous : beaucoup de plastique. Et quelques œuvres d’art.
Les déchets, de la mer au tableau.
Photographie: © Mandy Barker « Shelf-Life. Fishing net recovered from Henderson Island, June 2019 »